On ne présente plus Google et l’immense panoplie de services qu’il propose à ses utilisateurs. Dans une moindre mesure, il est également connu pour son hardware : smartphones Pixel, maison connectée, écouteurs… Il existe cependant un domaine où le géant californien n’a pas su étendre ses tentacules : le marché des liseuses. Pourquoi Google ne propose pas de liseuse ?
La question est d’autant plus valide si l’on garde à l’esprit que Google dispose d’une application dédiée à l’achat et la lecture de livres. Cette application est accessible depuis n’importe quel smartphone Android et est donc théoriquement utilisable par tous ceux qui veulent utiliser le service. À défaut de liseuse, Google propose donc un service accessible à tous sans investissement supplémentaire.
Tous les utilisateurs de liseuse savent que le confort de lecture sur une liseuse n’est en rien comparable à celui d’un smartphone. La liseuse est un fauteuil confortable, une île flottante qui a un goût de revenez-y, alors que la lecture sur smartphone est une chaise en bois bancale, un yaourt nature qui remplit l’estomac mais sans procurer le moindre plaisir. Il est évident que Google est conscient de tout cela, alors pourquoi ne produit-il pas sa propre liseuse ? Il a la technologie et les ressources nécessaires.
Le marché du livre est-il propice ?
Pour avoir des éléments de réponse, il est nécessaire de reformuler la question. Pourquoi Google devrait (ou voudrait) – il créer sa propre liseuse ? Le marché du livre ne motive pas à se lancer : Amazon détient près de deux tiers du marché du livre grâce à la popularité de ses liseuses Kindle, et est talonné par Kobo (marque de Rakuten). Bien qu’il n’y ait pas de statistiques vraiment précises sur la question, les avis s’accordent sur le fait que Google n’a qu’une infime partie de ce marché. C’est peu, surtout si l’on considère le nombre d’appareils sur Android qui peuvent techniquement être des clients payants. Android étant de manière générale moins lucratif qu’iOS, il semble à première vue que Google a une épine dans le pied avec le marché des livres et les revenus.
Théoriquement, le problème peut être réglé s’il arrive à convaincre les lecteurs de basculer vers sa potentielle liseuse. Autrement dit, il lui faut entrer dans le marché avec sa propre liseuse pour détrôner, ou du moins concurrencer, les Kindle dans leur propre domaine. Si c’est théoriquement possible, la pratique s’annonce plus compliquée. Il y aura des coûts en recherche et développement, en production, en logiciel, et surtout en marketing pour convaincre les utilisateurs d’abandonner leur liseuse actuelle et opter pour une liseuse maison. Il semblerait que les utilisateurs ne changent pas de liseuses souvent (entre 4 et 8 ans), donc une entrée en fanfare sur le marché en espérant acquérir de nombreux utilisateurs semble être un scénario très utopique. Possible, grâce à toutes les ressources de Google, mais difficile à mettre en place.
Les revenus estimés sont-ils plus importants que les investissements ?
La véritable question est donc la suivante : est-ce que tous ces investissements et ces efforts ont vraiment du sens ? Reformulée en langue business, la question revient à demander si les revenus estimés seront supérieurs aux dépenses (qui, elles, sont certaines). En considérant le marché du livre, l’omniprésence des Kindle, la popularité des ebooks en déclin (du moins ceux qui sont achetés de manière légale), la difficulté de monétiser avec de la publicité, la possible difficulté pour obtenir des licenses et/ou traductions dans d’autres pays, le casse-tête semble énorme et les profits a priori difficiles. Bien entendu, il faudrait analyser des chiffres complets sur plusieurs segments et métriques spécifiques pour parvenir à une décision censée, mais les premiers signes ne sont pas encourageants.
S’il y avait une époque où Google paraissait attractif pour les auteurs grâce à l’audience qu’il leur fournit avec son moteur de recherche, le marché du livre a tellement évolué grâce au “personal branding” sur les réseaux sociaux et grâce à des plateformes telles Goodreads que Google n’a guère plus d’audience à apporter aux auteurs que ce qui est déjà à leur portée.
Vient ensuite la question de la complémentarité avec les autres outils Google. Vous pouvez parfaitement commencer un livre audio sur votre Google Mini puis le continuer sur votre téléphone en quittant la maison. Beaucoup de lecteurs trouveront probablement amusant d’avoir une stratégie basée sur l’utilisateur d’enceintes connectées car elles ne sont pas particulièrement populaires et sont souvent utilisées pour des fonctionnalités triviales. L’essor du marché de la maison connectée et des smart speakers pourrait bien contribuer à améliorer cette situation, l’épidémie COVID avait d’ailleurs contribué à une augmentation des ventes. En revanche, le désintérêt général pour la lecture aux Etats-Unis (qui servent souvent de base aux décisions des entreprises) et de manière générale en Occident, combiné à la popularité des podcasts, sont plutôt des mauvais signes pour un essor du livre via Google Assistant, les utilisateurs préférant écouter des podcasts.
Google n’abandonnera probablement pas de sitôt sa plateforme de livres, mais créera-t-il sa propre liseuse ? Possible, mais peu probable.