Il vous est sûrement arrivé, au cours d’une conversation entre amis, d’entendre des propos sur le thème « moi je boycotte Amazon ! ». S’ensuivent généralement des échanges plus ou moins vifs sur les géants du numérique censés dominer le monde, nous espionner en permanence et tutti quanti. Oui mais.. Ceux qui s’enflamment sur le grand méchant Amazon sont parfois les mêmes qui commandent sur Deliveroo, Uber Eats ou autres, parce qu’ils ne savent même pas cuire un oeuf dans leur cuisine Ikea. Et dans ce cas, ils ne sont guère gênés que le livreur gagne 4 ou 5 euros par course, sans aucune protection sociale.
Pourquoi ce discours anti-Amazon ?
Les arguments anti-Amazon sont connus : la mort du commerce local, l’artificialisation des sols pour construire de grands entrepôts, les mauvaises conditions de travail, les risques de monopole… Relativisons un peu. Des études circulent, notamment celle conduite par l’ancien ministre Mounir Mahjoubi, sur le thème » un emploi créé chez Amazon en tue deux ou trois dans le commerce de proximité ». Ce type de raisonnement postule que que les achats chez Amazon sont autant de vente en moins dans le commerce physique traditionnel. Plusieurs arguments peuvent interroger ce postulat :
. est-ce que tous les achats chez Amazon se substituent exactement à ceux réalisés dans les magasins physiques ? C’est loin d’être évident, notamment dans les zones rurales ou même péri-urbaines.
. est-ce que tous les produits disponibles chez Amazon peuvent se trouver dans le commerce de proximité ? Pas si sûr, même dans les grands centres urbains. En plus , le catalogue d’Amazon est international.
. Par le biais des Market Places, Amazon permet d’acheter chez des petites entreprises et donc d’y générer des emplois.
. La logistique dite du « dernier kilomètre » a permis de booster le secteur des transports pour la livraison. Là aussi, il a y a création d’emplois.
Un discours anti-Amazon de nature politique
Le discours anti-Amazon est en réalité un discours politique qui permet de montrer du doigt un « méchant » qui serait responsable de tous les maux. On oublie bien d’autres vendeurs en ligne (ah oui, mais Cdiscount c’est français Môssieu…). Amazon a bien des défauts et les conditions de travail dans ses entrepôts sont loin d’être idéales. Mais qui croit que le petit commerce de proximité est un paradis social pour les salariés ? Quelle est la meilleure situation : employé chez Amazon ou smicard dans une petite supérette de quartier ? Ca se discute.
Il y a quelques années, c’était la grande distribution qui tenait le rôle du grand méchant. Leclerc, Carrrefour, Auchan étaient alors les fossoyeurs du petit commerce. On a simplement changé de cible.
Et ce discours anti-Amazon est d’autant plus curieux qu’il s’appuie sur une pérennité supposée. Amazon serait là pour l’éternité… Bah non, un jour il sera remplacé par autre chose. C’est d’ailleurs Jeff Bezos lui-même qui le dit et il s’y connaît en économie de marché.
Le vrai problème avec Amazon, comme avec d’autres géants du numérique, c’est la fiscalité. C’est-là dessus qu’il faut agir et c’est un vaste chantier.
Les ambigus Deliveroo, Uber Eats et autres
Ceux qui travaillent chez Amazon sont des salariés. Avec les inconvénients, mais aussi les droits des salariés, ce qui n’est pas tout à fait rien, même s’il faut se battre pour les faire respecter. Chez les livreurs en vélo ou en scooter, ce n’est pas tout à fait la même chanson.
C’est formidable de faire livrer de bons petits plats chez soi, jusqu’à son canapé. Un gentil auto-entrepreneur (autre nom du forçat en vélo) apporte à domicile ce que vous n’avez pas eu le temps de préparer. Mais là, ce n’est pas un salarié, mais un « indépendant » sans droits sociaux et soumis au bon vouloir des plateformes (la rémunération de la course varie souvent à la baisse) et… des clients. Si le plat n’arrive pas assez vite, on peut se plaindre sur l’appli et le pauvre bougre qui livre par tous les temps, sera radié s’il est trop lent. On vit une époque formidable.
On peut évoquer aussi tous ceux (réseaux illégaux) qui font rouler les autres à leur place (souvent des migrants exploités qui cherchent une subsistance) en empochant la moitié ou plus d’une commission déjà bien maigre.
La civilisation numérique permet aux plateformes mondiales de contourner les droits sociaux nationaux. Les boycotteurs d’Amazon qui laissent un pourboire de deux euros au livreur Deliveroo doivent réfléchir à la différence existant entre le salariat et une nouvelle forme d’esclavagisme (même rebaptisée auto-entrepreneuriat). Comme on doit réfléchir au T-Shirt payé 5 euros et qui ne peut être à ce prix que parce quelques humains, au bout du monde, travaillent pour presque rien.
Ne pas se tromper de débat
Au-delà des postures militantes de bonne conscience et souvent pleines de contradictions, il ne faut pas se tromper de débat. La civilisation numérique va bouleverser nos existences à un point que nous n’imaginons pas. Comme toutes les ruptures anthropologiques, elle est porteuse de progrès et de risques. Y résister ne sert à rien. Comprendre et réguler pour en profiter, c’est mieux.