Dès le lendemain de Noël, Ebay ou Rakuten affichent les chiffres des annonces de revente des cadeaux reçus la veille. Rakuten a ainsi annoncé 650 000 nouvelles annonces le jour même de Noël. Cette pratique de la revente est devenue courante, apparemment assumée et peu de gens s’en offusquent encore. Elle se pare parfois des oripeaux du temps présent : économie circulaire, seconde vie des objets… Signe peut-être d’un reste de mauvaise conscience. Elle traduit aussi une évolution des comportements révélatrice de la société contemporaine. Derrière ce phénomène social de la revente des cadeaux, que trouve-t-on vraiment ?
Trop de cadeaux tue le cadeau
S’il y a tant de cadeaux sur le marché de la revente, c’est sans doute qu’il y a… trop de cadeaux en général. Le cadeau est-il une marque exceptionnelle (ce qui est rare est cher) d’affection, de considération ou un simple lubrifiant de la relation sociale ou familiale ? Dans la première hypothèse, le cadeau, même moche et inutile, a une valeur particulière difficile à appréhender. Comment envisager sa revente sans se poser la moindre question sur ce qui l’a motivé ? Dans la seconde hypothèse, le cadeau n’est qu’un marqueur social banalisé dont on peut se débarasser, éventuellement en le monnayant.
Dans tous les cas, ce qui est peut-être en cause, c’est la pléthore de cadeaux. Les logiques commerciales (il faut que tout le monde vive) conduisent à multiplier les occasions de cadeaux en toutes circonstances et Noël est une sorte d’acmé de ces nouveaux comportements. Le commerce en ligne a boosté cette pratique au point d’en faire aujourd’hui une quasi norme comportementale. Mais il n’y a pas que Noël, il y a aussi les fêtes de famille en tous genres (naissance mariage) sans compter les importations US qui font florès aujourd’hui : les « gender reveal », « baby shower »…
Dès lors, le cadeau comme marque particulière d’intérêt pour autrui se transforme peu à peu en habitude sociale de politesse. Une parmi d’autres. Même les enfants pratiquent la revente des cadeaux, alors qu’on peut penser qu’ils sont ceux pour lesquels l’acte d’offrir a encore le sens affectif le plus fort.
La revente des cadeaux : une logique économique ?
Pour lever ce qui reste de tabou, on avance que la revente des cadeaux a une logique économique qu’on qualifie volontiers de « vertueuse ». Le vendeur du cadeau améliore son pouvoir d’achat et l’acheteur est ravi d’avoir un produit neuf (souvent encore emballé) à 15-20% au-dessous du tarif normal. C’est du gagnant-gagnant puisque chacun y trouve son compte. On évite ainsi le gaspillage et les produits jetés en créant une sorte d’économie circulaire du cadeau. C’est encore plus évident quand il s’agit de cadeaux reçus en double exemplaire.
Le seul acteur économique qui est en dehors du circuit est l’acheteur initial, l’offreur. Sauf à pousser la logique jusqu’au bout et à organiser une « reprise » du cadeau par celui qui l’a offert. Une sorte de service après-vente du cadeau. J’ai pensé vous faire plaisir, ça ne fonctionne pas, donc je reprends. Satisfait ou remboursé ! Cette logique économique est surtout mise en avant par les sites de revente en ligne qui, immanquablement, se fendent de leur communiqué de presse pour Noël. Et la presse reprend, à chaque fois, l’idée du « tabou qui saute » et de la revente des cadeaux qui serait désormais assumée.
La revente des cadeaux : une idée assumée…ou pas
Même si le phénomène de la revente des cadeaux est entré dans les moeurs, la pratique reste encore plus ou moins assumée par certains. Dès lors, ils mettent en avant des justifications de type moral : l’économie circulaire est bonne pour la planète, donc la revente des cadeaux est un acte écologique. Ou… une variante d’un pas de danse au bal des faux culs. Chacun peut revendre les cadeaux qu’il a reçus, rien ne l’interdit (pouvoir d’achat, encombrement, doublons) mais il n’est pas indispensable d’emballer (mot de circonstance) tout ça dans un grand paquet de justifications plus ou moins fumeuses.
Quand on revend un cadeau, on revend un peu d’affection, d’intérêt, de sollicitude. Difficile d’en fixer le prix. Il faut juste assumer sans se justifier.